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(Extrait du numéro 5, Pour saluer Casse)
Note du 23 novembre 2006 : Vous pouvez retrouver la revue Casse en allant dans les Catégories, dans Revues littéraires sur le site :
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Loin de moi l'intention de dénigrer les réalisations vraiment créatrices qui s'accomplissent autour de nous dans tous les domaines, ou même les diverses tentatives authentiques d'oeuvrer dans un sens créateur, même si, malheureusement, par suite de quelque erreur de méthode ou de point de vue, ces dernières n'aboutissent la plupart du temps qu'à de pitoyables échecs.
Il faut toutefois constater que les préjugés, le conformisme, la routine, l'ignorance et la sottise parviennent très souvent - et c'est déplorable - à construire un monde absurde dans lequel les forces de vie se trouvent étouffées. Pour libérer ces forces, il est nécessaire de se livrer à la casse, une casse sélective évidemment, car il faut se garder de porter tort à tout ce qui est vraiment vivant, ou d'endommager ce qui est réussi. Malheureusement le vrai et le faux, le beau et le laid, le bien et le mal, l'amour et la haine se trouvent tellement mêlés dans la réalité humaine qu'il est bien difficile de les distinguer, et une casse maladroite ou imprécise se révèle souvent désastreuse. La plupart des casseurs sont des apprentis sorciers qui provoquent des destructions regrettables, dont ils doivent d'ailleurs souvent subir eux-mêmes les conséquences. Le casseur expérimenté observe au contraire une saine déontologie, il respecte les forces de vie, il sait faire preuve de discernement, de compétence et de prudence, il sait frapper au bon endroit, et pas plus fort ni moins fort qu'il n'est nécessaire. Pour préciser ma pensée par un exemple, il me semble que dans Casse du fatras culturel allemand, que nous publions dans ce numéro, Michel VALTIN donne à peu près la mesure de ce que peut être une casse sélective et respectueuse de la déontologie.
François BORON
"Donnez-moi un levier, disait Archimède, et je soulèverai le monde." C'est avec autant de raison que je peux dire : "donnez-moi une citation, et je casserai le monde".
Venons-en à la démonstration.
l - Casse des universités allemandes
"Des maximes en prose de Goethe se dégagent aujourd'hui davantage d'enseignements que de toutes les universités allemandes réunies."
(Hofmannsthal)
2 - Casse de la littérature allemande
"On peut se former auprès de Goethe, dans la mesure où on ne se laisse pas troubler par lui ; la littérature allemande, elle, ne peut pas vous former - seulement vous troubler."
(Hofmannsthal)
3 - Casse des prétendus grands hommes allemands entre 1832 et 1888
"Goethe est le dernier en date des allemands pour qui j'éprouve du respect."
(Nietzsche. Le Crépuscule des Idoles)
4 - Casse des philosophes
"Les philosophes (les prétendus rois du monde) ne sont que les cireurs de bottes de la postérité."
(Lichtenberg)
5 - Casse de la philosophie des lumières
"On parle beaucoup de "rationalisme" et on réclame plus de lumière. Mon Dieu, de quelle utilité peut donc être toute cette lumière, puisque les gens ou bien n'ont pas d'yeux ou bien, s'ils en ont, les ferment par principe."
(Lichtenberg)
6 - Casse de notre prétendue civilisation
"Goethe, comme base de toute la formation intellectuelle, peut tenir lieu d'une civilisation complète."
(Hofmannsthal)
Oui, et en présence d'une civilisation pareille, je ne donne pas cher de la nôtre.
Michel VALTIN
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(Extrait du numéro 60, Critique littéraire et déontologie)
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Sous ce titre, nous republions deux articles qui ont paru dans notre numéro 12 (Censures), épuisé et provisoirement non disponible.
Dans un article publié dans Parade Sauvage, revue universitaire d'études rimbaldiennes, Steve Murphy analyse entre autres choses l'entreprise hagiographique et mythique à laquelle s'est livrée, à propos d'Arthur Rimbaud, la soeur du poète, Isabelle : pour imposer une censure, elle aurait mis en oeuvre une stratégie fondée sur des mensonges, dont, à en croire Steve Murphy, l'aboutissement aurait été «une série de "coups" fort réussis» : Pierquin, Vanier, Verlaine, Paterne Berrichon, Jean Bourguignon, Charles Houin, Delahaye, Paul Claudel et Izambard auraient ainsi été amenés à rendre Arthur Rimbaud conforme à l'idée qu'Isabelle se faisait des convenances. Et Steve Murphy conclut à ce sujet :
«Le génie d'Isabelle aura été de s'exprimer, avant tout, par ventriloquie, de rester, en grande partie, à l'ombre, afin de manipuler - invisible - les acteurs de la critique rimbaldienne.»
Qu'Isabelle Rimbaud ait eu du génie ne m'étonne pas outre mesure : ce qui me paraît plus surprenant, c'est l'usage qu'elle en a fait : quand on a du génie, on ne le met pas, d'habitude, au service de l'obscurantisme!
Jean Donat
Parade Sauvage (bulletin numéro 8, octobre 1993), Musée-Bibliothèque Rimbaud, B.P. 490, 08109 Charleville-Mézières Cedex.
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Dans l'article cité par Jean Donat, Steve Murphy écrit à propos de Paterne Berrichon que «ce poète décadent et anarchisant» fut «pris au piège de son idolâtrie rimbaldienne au point d'épouser Isabelle (...)».
En réalité, bien loin d'avoir compris quoi que ce soit à l'anarchie rimbaldienne, Paterne Berrichon s'est montré tout simplement abominable. - Pourquoi ? Qu'ai-je donc contre lui ?
«Quand sera brisé l'infini servage de la femme, écrit Rimbaud dans la lettre du Voyant, quand elle vivra pour elle et par elle, l'homme, jusqu'ici abominable, - lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi!»
Je doute pourtant que, si Paterne Berrichon avait flanqué sa femme à la porte, elle eût renoncé à la respectabilité bourgeoise et fût devenue une femme de talent. Autant valait la garder, alors. Mais n'avaient-ils donc rien de mieux à faire, tous les deux, que de se vautrer dans l'obscurantisme le plus répugnant ?
Patrick Moret
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