Musset

LA POÉSIE DU COEUR

(…)

« “Ah ! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie”, Alfred de Musset avait bien raison ». C’est ce que dit la revue Le Coin de Table (numéro 18).

Si Musset avait raison, il semble que Baudelaire avait tort, lui qui, dans sa grande étude sur Théophile Gautier, écrit :

« Pendant l’époque désordonnée du romantisme, l’époque d’ardente effusion, on faisait souvent usage de cette formule : la poésie du cœur ! On donnait ainsi plein droit à la passion ; on lui attribuait une sorte d’infaillibilité. Combien de contresens et de sophismes peut imposer à la langue française une erreur d’esthétique ! Le cœur contient la passion, le cœur contient le dévouement, le crime ; l’Imagination seule contient la poésie. »

Baudelaire distingue expressément la sensibilité de cœur et la sensibilité de l’imagination :

« La sensibilité de cœur, écrit-il, n’est pas absolu­ment favorable au travail poétique. Une extrême sensibilité de cœur peut même nuire en ce cas. La sensibilité de l’imagination est d’une autre nature ; elle sait choisir, juger, comparer, fuir ceci, rechercher cela, rapidement, sponta­nément. C’est de cette sensibilité, qui s’appelle générale­ment le Goût, que nous tirons la puissance d’éviter le mal et de chercher le bien en matière poétique. »

(…)

Il y a, en poésie, deux façons de concevoir l’âme.

La première est celle de Musset, l’âme personnelle ou individuelle qui serait à l’origine de l’amour, de la poésie et des larmes (et, après Rimbaud, je dis : à l’origine de la poésie subjective). Les larmes sont sincères, je n’en doute pas, je trouve toutefois que Musset exagère un peu lorsqu’il nous dit que le poète nous fait le sacrifice de son sang. A l’en croire, c’est un Pélican, un Christ, et que sais-je encore ! Et, en outre, c’est un Christ paresseux !

La seconde est celle du vrai poète, qui est réceptive à la diversité des êtres et à la variété et à l’immensité de l’univers. Car, comme l’explique Hugo,



« Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal

Fait reluire et vibrer mon âme de cristal,

Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore

Mit au centre de tout comme un écho sonore ! »

(Ce siècle avait deux ans !…)



L’âme ainsi conçue est à l’origine de la poésie objective (à condition que le JE du poète ne s’y mêle pas d’une manière excessive). Le moi ou l’âme du poète est donc capable de percevoir ce qui émane de l’âme univer­selle, la quantité d’inconnu qui s’éveille à chaque époque. A ce sujet, je renvoie aux ouvrages d’Alain Dumaine qui traitent de Rimbaud, diffusés par notre revuette.

(…)



Selon Baudelaire, ce n’est pas du tout l’émotion et le métier, mais l’imagination et le métier qui sont indispen­sables à l’artiste. (voir Salon de 1859, I. L’Artiste moderne).

(…)

Le Coin de Table ne craint pas de placer Verlaine en premier sur la liste de la prétendue « descendance inin­terrom­pue » à partir de Baudelaire ! Vraiment ? Mais la Reine des Facultés est bien l’Imagination ? Verlaine ne serait-il pas plutôt disciple de Musset ? disciple critique, certes, mais incontestable :

« Et, pour être poète, selon moi, écrit-il dans sa Conférence sur les poètes contemporains, il faut vivre beaucoup, dans tous les sens, – et s’en souvenir. Alfred de Musset a dit cela infiniment mieux que tous mes efforts ne sauraient le faire, et il a laissé une œuvre vivante, l’œuvre vivante par excellence, bien que ne s’étant pas assez donné tout entier. Il avait ses raisons, qui étaient surtout de vouloir ainsi. Mais il eût pu, sinon dû, faire plus. N’importe, c’est un grand poète tout de même. Un artiste ? Oui, cent fois oui. Un artiste parfait ? Non, car la vie sentie, exprimée même bien, même admirablement, ne suffit pas à cette tâche. Il faut travailler et travailler comme un ouvrier : tels les poètes romans, incontestablement. »

Rimbaud, lui, n’a pas dit que l’œuvre de Musset était « l’œuvre vivante par excellence », mais : « Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu ! » Alain Dumaine, dont les ouvrages sont diffusés par notre revuette, a d’ailleurs pu montrer, avec de bons arguments, que Rimbaud est le seul véritable disciple de Baudelaire.



SINCÉRITÉ ?

La sincérité, telle que la comprend Musset, est l'ennemie de la poésie et du travail poétique :



« J'ai fait de mauvais vers, c'est vrai ; mais, Dieu merci,

Lorsque je les ai faits, je les voulais ainsi,

(...)

« Non, je ne connais pas de métier plus honteux,

Plus sot, plus dégradant pour la pensée humaine,

Que de se mettre ainsi la cervelle à la gêne,

Pour écrire trois mots quand il n’en faut que deux,

Traiter son propre cœur comme un chien qu’on enchaîne

Et fausser jusqu’aux pleurs que l’on a dans les yeux. »

(Après une lecture).



S’il ne s’agit que de pleurer, il n’est aucunement besoin de se soucier de qualité littéraire : le sens artistique est complètement inutile, et l’on peut dire :



« Vive le mélodrame où Margot a pleuré » !



Ce mélodrame est faux, ampoulé et ridicule, peut-être. Qu’importe, si Margot y retrouve les émotions qui lui sont chères ? Évidemment, certains disent tout bas que, quand il s’agit de littérature, Margot n’est pas très intelligente. Elle préfère les mauvais mélodrames aux pièces de Shakespeare ! Musset, il est vrai, dit qu’elle s’y connaît. Mais…s’y connaît-il lui-même ?

Si la sincérité seule compte, le travail poétique est inutile, et les paresseux ont raison.

Verlaine lui-même n’approuve pas complètement Musset sur ce point. A la sincérité, il rajoute la nécessité du travail consciencieux et l’effort vers la perfection de la forme.

(…)



(Extraits de La Poésie du Coeur et de Sincérité ?articles de Maurice Hénaud parus dans notre numéro 134, L’émotion en poésie !)



Ô Rolla !

« Musset est quatorze fois exécrable pour nous » (Rimbaud)



Musset est un homme qui n'aime que l'amour et qui s'étourdit à force d'amour :



« L’amour est tout, – l’amour, et la vie au soleil.

Aimer est le grand point, qu’importe la maîtresse ?

Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ?

Faites-vous de ce monde un songe sans réveil.

S’il est vrai que Schiller n’ait aimé qu’Amélie,

Goethe que Marguerite, et Rousseau que Julie,

Que la terre leur soit légère ! – ils ont aimé. »

(La Coupe et les Lèvres, Dédicace)



Si l’amour est tout, les œuvres de Rousseau, de Schiller et de Goethe ne sont rien ! Pour une ineptie pareille, je dirais que Musset est non pas seulement quatorze fois exécrable, mais au moins quinze fois exécrable.

« J’aime surtout les vers, cette langue immortelle »,



déclare Musset dans Namouna. Mais de quelle manière les aime-t-il ?



« Qu’importe leur valeur ? La muse est toujours belle,

Même pour l’insensé, même pour l’impuissant ;

Car sa beauté pour nous, c’est notre amour pour elle. »



Pour l’amant du beau style, au contraire, il n’importe pas du tout qu’en écrivant de mauvais vers, Musset ait éprouvé beaucoup de plaisir ! Ces vers ne sont pas meilleurs pour autant. Ils sont du reste tellement mauvais que Musset s’en aperçoit lui-même :

« Mon premier chant est fait. – Je viens de le relire.

J’ai bien mal expliqué ce que je voulais dire ;

Je n’ai pas dit un mot de ce que j’aurais dit

Si j’avais fait un plan une heure avant d’écrire :

Je crève de dégoût, de rage et de dépit.

Je crois en vérité que j’ai fait de l’esprit. »

(…)

C’est ce prétendu bonheur de la vie monastique que Musset oppose à Voltaire, cet infatigable pourfendeur des sottises et des illusions humaines, et ce vigoureux conquérant de l’esprit !

Voltaire est rendu responsable de l’absence d’espoir romantique et du choix que fait Rolla d’une vie de débauche :



« Sois tranquille, il t’a lu. Rien ne peut lui donner

Ni consolation ni lueur d’espérance.

(…)

Voilà pourtant ton œuvre, Arouet, voilà l’homme

Tel que tu l’as voulu. »



L’accusation est étrange. Si, au lieu de cultiver son jardin, de se livrer à quelque activité bénéfique pour lui-même et ses semblables, Rolla a choisi de dépenser son héritage dans la débauche et la paresse, à qui la faute ?

Malgré ce choix d’une vie insignifiante, Rolla, déclare Musset, n’est finalement pas un débauché vulgaire : à l’en croire, il représente une des « nobles créatures » qui vivent sous le soleil, un « marbre de Carrare » et la nature l’aurait « taillé dans les flancs de ses plus purs granits » !

(…)



(Extraits de Ô Rolla !, article de Sébastien, paru dans notre numéro 134, L’émotion en poésie !)

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