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Bernard Flouret

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Disciple et défenseur de Fernando Pessoa, Bernard Flouret a publié plusieurs parties de son essai Défense de Fernando Pessoa, dont nous donnons ici quelques extraits :


Pessoa



La Petite Revue de l’Indiscipline et l’infiniment petit.

Introduction au Siècle Littéraire Supplémentaire, de Bernard Flouret.

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Il ne suffit pas que notre revuette se dise elle-même petite, et que j’écrive parfois de Petits Poèmes. En haut lieu (je parle de la très grande revue Histoires littéraires), on nous considère comme « minuscules ». On écrit en effet à propos de notre publication : « Farouche moustique, elle s’en prend à quelques mastodontes » ; nous commenterions « le travail d’autres publications minuscules », et l’on nous recense sous la rubrique « Bonzaï » (tout petit mot-valise qui contient à la fois la revuette – un bonsaï – et le bonze lilliputien qui cultive le haïku, autrement dit moi-même !).

Toutefois, certains d’entre nous sont possédés par l’ambition (d’aucuns diront la prétention) de travailler dans l’infiniment grand. Certes, par le nombre de pages qu’il a écrites, et encore moins de celles qu’il a publiées, Bernard Flouret ne saurait rivaliser avec tout un siècle littéraire ! Pourtant, année après année, mois après mois et jour après jour, il s’efforce de construire les œuvres de ses nombreux auteurs. S’il n’atteint pas à la grandeur de Balzac ou de Voltaire, je ne jurerais pas qu’un jour, peut-être, par le nombre de pages écrites (déposées, dit-il, sous forme de fichiers informatiques à la Bibliothèque de Valenciennes), il ne puisse rivaliser avec eux !


Sébastien


Histoires littéraires, 32, avenue de Suffren, 75015 Paris.


Voir :

>Archives>comptes rendus>N°13>Indiscipline

et Archives>comptes rendus>N°15>Bonzaï, sur le site :


www.histoires-litteraires.org



Bernard Flouret, Défense de Fernando Pessoa (dans les numéros 33, 56, 68, 72 et 90 de La Petite Revue de l’Indiscipline, Christian Moncel, B.P. 124, - F42190 Charlieu).



LE SIÈCLE LITTÉRAIRE SUPPLÉMENTAIRE (1950-2050)

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« Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité », déclare Rousseau. Il en est ainsi pour moi, et, puisque je suis écrivain, il me faut bien habiter un siècle littéraire. Le siècle littéraire que je souhaite n’existe pas ? - Eh bien, pourquoi ne pas l’inventer ? De même que Rousseau peuplait sa solitude d’êtres selon son coeur, pourquoi n’inventerais-je pas un siècle littéraire à mon usage, peuplé d’écrivains à ma convenance ?

(…)

La plupart des oeuvres que j’ai écrites, je ne les ai pas écrites pour répondre à une motivation personnelle. À chaque fois, c’est au contraire la constatation d’un manque dans le siècle réel qui suscite en moi la création d’une oeuvre et d’un écrivain.

(…)

J’ai commencé par inventer un auteur, puis plusieurs, ils n’écrivaient d’abord que de courts articles, nouvelles ou essais ; ensuite, quand leur oeuvre s’est développée, elle est devenue assez abondante pour soutenir la comparaison avec celle d’écrivains réels.

Où fourrer tous ces auteurs ? Allais-je en encombrer le siècle réel, qui regorge déjà d’auteurs en tout genre ? Par chance, ma vie s’est déroulée à la fois dans le XXème et dans le XXIème siècles. L’occasion m’est ainsi offerte de glisser mon siècle supplémentaire entre deux siècles et entre deux millénaires.

Il existe bien un inventaire supplémentaire des monuments historiques. Pourquoi n’existerait-il pas un inventaire supplémentaire des écrivains ? Celui-ci se trouve d’ailleurs chez moi, je le mets à jour régulièrement, et même j’en fais enregistrer un double - tout à fait officiellement - à la Bibliothèque Municipale de Valenciennes.

Je n’ai guère de mérite à écrire les oeuvres des autres, des écrivains qui ne sont pas moi, c’est un travail que j’accomplis avec une relative aisance : non pas que l’élaboration et la mise en forme se fassent d’elles-mêmes, aillent sans difficultés de parcours, reprises et retouches, mais, à force de travail, j’en viens à bout sans trop de peine, et je ne rencontre jamais d’obstacles insurmontables.

Il en va différemment pour ce que je considère comme mon oeuvre propre. Là, je n’avance que lentement, je ne réussis que peu à peu à en composer des fragments, - et j’ai souvent l’impression que je mourrai à la tâche, sans en avoir jamais vu la fin. Les fragments ne s’accordent pas entre eux, ils s’écartent du plan fixé, en suggèrent un autre, de sorte que pour introduire un nouveau fragment, il faudrait modifier tout le reste, et ainsi de suite... Peu à peu, pourtant, j’assiste à une sorte de progression, mais le but semble s’éloigner à mesure que je me rapproche, comme dans l’ascension d’une montagne, où, à mesure qu’on s’élève, on s’aperçoit, chaque nouvelle butte franchie, qu’elle nous cachait encore le sommet véritable.

Cette oeuvre propre restera peut-être comme le témoignage de mon échec. Même si j’estime que tout n’est pas absolument mauvais dans les résultats auxquels aboutissent mes tentatives, et même si, par moments, j’ai l’impression que certains des fragments composés constituent, ou du moins renferment, de plus belles réussites que celles de mes auteurs inventés, il n’en demeure pas moins que ces réussites partielles ne peuvent faire oublier l’absence d’une composition et d’une harmonie d’ensemble.

Mes auteurs inventés, eux, au moins, ont pu venir à bout de leurs œuvres !

Comme je parviens plus facilement à composer ces dernières, je suis enclin à y travailler davantage, et comme elles me prennent tout de même beaucoup de temps, je suis amené à négliger quelque peu mon oeuvre propre, et à la repousser à plus tard ; de sorte que mes auteurs grandissent, que mon siècle littéraire se remplit, et que mon oeuvre personnelle reste en panne.


Tant que l’une au moins de mes oeuvres propres n’est pas achevée, j’ai décidé de n’en publier aucun extrait. Je fais une exception pour Défense de Fernando Pessoa, dont j’ai publié plusieurs morceaux. A vrai dire, cet ouvrage devrait faire partie non pas de mon oeuvre propre, mais de celle d’un de mes auteurs inventés. Seulement, à lire tel ou tel essai critique, telle ou telle biographie relatifs à Pessoa, j’ai trouvé ces ouvrages tellement abominables, que le plus grand poète du Portugal me paraît vraiment mériter un écrivain réel qui soit son disciple, qui  le défende dignement, et qui renvoie dans le néant ces insanités. Comme, par certains côtés, il se trouve que je suis ce disciple, et que, d’autre part, je ne vois pour le moment personne capable de remplir mieux que moi ce rôle nécessaire, j’ai cru devoir publier Défense de Fernando Pessoa sous mon nom. Je suis ainsi doublement infidèle à mes principes, puisque cet ouvrage ne relève pas tout à fait de ce que je considère comme mon oeuvre propre, et que d’autre part il n’est pas terminé. Mais la fidélité à Pessoa, et l’amour de la Grande Poésie et de la Grande Littérature importent peut-être davantage.


Il faut que je réponde à une dernière objection : mon siècle supplémentaire est très incomplet, lui non plus n’est pas terminé. – Il est bien évident qu’à moi tout seul, je ne peux suffire à tout. Jusqu’à maintenant, je me suis contenté d’écrire les œuvres de mes auteurs, il faudrait encore que je leur invente une vie et que j’écrive leur biographie. Où trouverai-je le Balzac qui leur créera des familles, des amis, des amours, une vie sociale ? Car je n’aurai pas le temps de le faire. D’ailleurs, je ne suis pas romancier, mais plutôt inventeur d’écrivains, comme Pessoa. Avez-vous remarqué combien, souvent, les personnages d’écrivains créés par les romanciers existent peu en tant qu’écrivains, qu’il s’agisse de Rubempré, de Lousteau, de la Muse du Département, ou de certains héros de Henry James ? Où est leur œuvre ? Lucien de Rubempré a laissé quatre ou cinq sonnets… !

Il me faudrait, c’est évident, des collaborateurs pour compléter mon siècle littéraire. Un Balzac n’y suffirait pas. Et où trouver le Michel-Ange, architecte, peintre et sculpteur, poète par dessus le marché, qui pourrait fournir le siècle artistique correspondant ?


Bernard FLOURET


Pessoa


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